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Travailleurs détachés : des chauffeurs zimbabwéens en errance en France

Photo d'illustration. Les travailleurs détachés sont nombreux à stationner sur les aires d'autoroutes françaises. Certaines entreprises ne respectent pas les règlements européens notamment sur le temps de repos des conducteurs routiers. En plus du manque de respect des droits humains, cela fausse la concurrence entre transporteurs de différents pays.

Crédit photo Christophe Barette
Victimes du non-respect du droit du travail et du droit européen, trois conducteurs routiers originaires du Zimbabwe sont bloqués sur des aires d’autoroute françaises. Leur employeur, originaire de République Tchèque, ne respecte visiblement pas les règles de cabotage, ni celles sur le temps de repos, et ne leur verse pas leur salaire en totalité. Trois conducteurs en errance en France, un cas qui n’est pas rare selon les syndicats, qui tirent le signal d’alarme.

Précarisé, Brighton vit sans salaire ni ressource, loin de sa famille.
Crédit photo : Christophe Barette

Brighton est l’un des trois conducteurs routiers qui ont été engagés par le biais d’un recruteur. « Je suis parti du Zimbabwe en juillet 2024, pour atterrir en Europe. J’ai été logé en Airbnb, le temps que l’employeur effectue la conversion de mon permis de conduire afin qu’il soit valable en Europe et d’avoir une carte de résident slovaque ».

Brighton déclare avoir suivi ensuite une formation à Lozorno (Slovaquie) dans un centre de formation général, pendant trois mois. A la fin de cette session, durant deux semaines, il a roulé en double équipage avec un formateur, avant de sillonner l’Europe à bord d’un MAN de 2019 qui avait au compteur 600 000 km.

15 heures d’amplitude. Brighton raconte de très longues journées de travail : il traverse l’Europe, charge et décharge sa semi-remorque en Autriche, en Allemagne ou France. Il passe sa vie dans le camion, du matin au soir.

Le conflit éclate. Aux conditions de travail compliquées, s'ajoute le non-paiement des salaires ; il touche juste des règlements partiels, autour de 700 euros. Dans son périple européen, Brighton livre en France, comme deux autres conducteurs routiers venus du Zimbabwe. Face à cette situation, ils décident de réclamer leur dû à l’employeur et se déclarent en arrêt de travail. Global Transporte emploierait dans les mêmes conditions plusieurs dizaines de routiers de nationalité extra-communautaire. Les syndicats français et belge sont informés via des militants de la Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF), syndicat des salariés européens des transports auquel des centrales françaises, dont la CFDT Route, sont affiliées.

Une chaîne de solidarité se met en place. En urgence, le samedi 1er février à 6 heures du matin, Yves Boré, trésorier de la CFDT Route, au volant d'un camion prêté par l'entreprise Prisméo et en compagnie de Patrick Blaise, secrétaire général de la CFDT Route, arrivent sur l’aire de Survilliers (Val d'Oise), pour mettre en sécurité Brighton. Pendant que le conducteur sommeillait sur l’aire d’autoroute, des employés de la société slovaque sont venus récupérer sa carte de carburant et ont pris le coupe-circuit du camion.

Un cas isolé ? « Cette situation n’est pas un cas isolé, estime Roberto Parrillo, ancien syndicaliste belge spécialiste des questions de transport. Circulant à travers les 27 Etats membres, on dénombre plus de 320 000 conducteurs routiers non européens détachés qui circulent, sur un total d'environ 2,5 millions de conducteurs routiers. Dans le transport, les détachés sont concentrés en majorité dans deux pays, la Lituanie qui en compte 80 000 et la Pologne, qui en compte 130 000. En Lituanie, il y a deux fois plus de conducteurs non-européens que de Lituaniens. Les conducteurs ne sont pas exploités dans ces pays, mais dans toute l’Europe, sans bien sûr appliquer la législation du travail de chaque Etat membre ».

La règlementation existe mais n'est pas appliquée. Le Paquet mobilité européen encadre pourtant l'activité de conducteur routier, notamment les temps de repos et le cabotage, mais les moyens de contrôle manquent. Ce qui aboutit à laisser la concurrence déloyale perdurer, et met en danger la stabilité économique des petites structures, qui représentent la majorité des entreprises dans le transport routier de marchandises.

« L’Europe et chaque pays de l’Union doivent faire respecter le Paquet mobilité, le pacte social, s’impatiente Patrick Blaise. Nous allons soutenir ces conducteurs en portant plainte au niveau européen, avec la fédération européenne. Nous avons déjà alerté le ministre des Transports français. Le chef de cabinet est intervenu, et deux conducteurs zimbabwéens qui se trouvent à Cahors et Alençon sont actuellement aidés par l’État. Mais ils vivent au jour le jour dans un hôtel. Brighton a été pris en charge par le syndicat. À travers ce combat, nous défendons les salariés et les petites entreprises ».

Il faut renforcer les contrôles. « Aujourd'hui en France, les contrôles sont effectués par seulement 400 agents de la Dreal et des forces de l’ordre, explique Patrick Blaise. Nous pensons qu’il faut au minimum doubler le nombre d’agents. Cela rapporterait à l’État et contribuerait à stopper le dumping social. La preuve, la Dreal a relevé sur les trois camions conduits par ces routiers zimbabwéens pas moins de 24 000 euros d’infractions ! Nous demandons ce renforcement depuis des années ».

Combattre la concurrence déloyale. « Toute pratique qui vise au non-respect des règles et à favoriser la concurrence déloyale doit être combattue, réagit Jean-Marc Rivera, directeur délégué de l’Organisation des Transporteurs Routiers Européens (organisation patronale OTRE). Nous sommes favorables à l’amplification des contrôles. Nous préconisons d’augmenter les effectifs de la Dreal que nous considérons bien trop faibles, et de remettre les forces de gendarmerie sur le contrôle du paquet mobilité ».

En France, un véhicule reste immobilisé et ne peut repartir qu’après le paiement de l’amende. Sur les 35 000 infractions relevées lors de contrôles au bord de route en 2019, le motif premier (40 %) dépendait du non-respect de la réglementation sociale européenne.

«Dans le cas des trois routiers détachés qui se trouvent sur le sol français, l’entreprise a payé les amendes pour récupérer les camions, mais n’a toujours pas payé ce qu’elle devait aux salariés, tout en mettant fin à leur contrat », constate Kamal El Jaouhari, délégué de la CFDT Route.

Le syndicat a fait ses calculs, entre les salaires, les primes et autres frais, l’employeur devrait autour de 12 000 euros à chaque salarié. « Global Transporte a fait une offre de sortie de crise », traduit Kamal El Jaouhari. Problème, l’entreprise a proposé des sommes dérisoires.

Impunité... Selon Ludovic Moussebois responsable du syndicat belge CSC Transcom, les employeurs indélicats s’en sortent en général à bon compte. « Nous avons tenté des procédures individuelles, mais c’est très compliqué de faire respecter la législation. Les entreprises expliquent que le salarié doit rembourser sa formation, des frais divers, et justifient ainsi le non-paiement du salaire ».

La France va-t-elle rester inactive ? « Si les faits présumés sont avérés, ils devront être sanctionnés », a déclaré le ministère des Transports. Contactée, l’entreprise Global Transporte n’a pas répondu à nos sollicitations. La CFDT Route examine quant à elle avec d'autres entreprises la possibilité de faire embaucher ces travailleurs, dans des conditions en adéquation avec la législation.

 

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